Poète juif né en Roumanie, Paul Celan a choisi d'écrire en allemand pour porter la contradiction jusque dans la langue et remettre en question une culture qui avait été complice de l'extermination. Il a suscité un véritable engouement chez les philosophes, en Allemagne et en France, qui voyaient en lui le représentant de la grande tradition lyrique. Denis Thouard révèle à quel point est paradoxal le fait que l'inspiration philosophique légitimant l'intérêt des philosophes pour les poètes, et singulièrement pour ce poète, ait été si souvent puisée dans la pensée de Heidegger : Celan apparaît comme un auteur dont l'obscurité témoignerait de la profondeur de l'engagement poétique, le seul susceptible de résister à l'arraisonnement de la technique.
En effet, l'incompatibilité historique et politique du philosophe et du poète fut en général ignorée au profit de la construction d'une synthèse poético-philosophique dont l'ambiguïté est riche d'enseignements sur ce moment de la pensée. Denis Thouard nous permet de comprendre les conditions de cet attrait, les modalités de la rencontre entre ce poète et les philosophes, de souligner les malentendus persistants et de réfléchir plus généralement à la question du rapport entre les philosophes et les poètes.
Ce livre constitue un pari ambitieux : traitant d'un poète réputé difficile, il aborde son oeuvre du point de vue de la philosophie plutôt que des études littéraires. C'est donc un ouvrage de philosophe à part entière, mais centré sur le rapport entre la philosophie et son dehors.
Denis Thouard, directeur de recherche au CNRS, s'intéresse principalement à la question de l'interprétation et à la théorie herméneutique (Herméneutique critique. Bollack, Szondi, Celan, Lille, Septentrion, 2012 ; L'Interprétation. Un dictionnaire philosophique, dirigé avec C. Berner, Vrin, 2015) et a également traduit de la poésie (E. Meister, A. Krog) et des textes des romantiques allemands.